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J’ai relevé cette partie du texte que j’ai écrit (il y a quelques années) à propos de notre périple qui débuta à Arzew puis Oran et Mers El-Kébir le 9 juillet 1962. Passant successivement par Toulon, Marseille, Paris, Rennes et Brest, nous arrivions enfin à Landerneau, dans le nord Finistère, le 27 Juillet 62 !
Après 19 jours d’un éprouvant voyage, notre famille de six enfants - dont un petit garçon de 18 jours et une fillette de 3 ans - trouvait enfin un accueil longuement espéré!
Suite à la visite des représentants du FLN dans la matinée du 09/07/62, nous courons annoncer notre départ pour la France à Papa. En ces temps « troublés », faute de travail on le trouve, immanquablement au C.B.A (Club Bouliste Arzewien). Nous ne savons pas comment partir et avec quel argent, mais notre décision est prise car une seule « alternative » nous est offerte : la vie ou la mort ! Quand nous lui annonçons la « couleur », en bon marin qu’il a été, il s’écrie : « ou nous restons tous à quai , ou nous embarquons tous ». Pour une fois sa décision semble sans ambiguïté, a t-il saisi toute l’importance et l’urgence de la situation qui s’impose à nous ? Il avait plus le sens des formules que de l’action, et il espérait en secret n’avoir pas à affronter ces situations extrêmes, comme nous tous d’ailleurs. La devise « la valise ou le cercueil » qui orne nombre de nos murs et que nous lisons presque avec indifférence jusqu’alors, prend tout d’un coup sa vraie dimension de cruelle froideur. Pendant que Pep et Papa parlementent avec le commandant de la base* pour lui expliquer la situation, nous attendons tous à la maison angoissés à l’idée d’un départ imminent, mais conscients qu’il reste malgré tout notre seule planche de salut.
Ce n’est que vers midi qu’un marin de la base, toquant à la porte, nous annonce la nouvelle : « Vous êtes bien la famille qui veut partir en France ? » un autocar de la Marine Nationale stationné à proximité de la gare, attend jusqu’à 14h, heure de départ pour Mers El-Kébir, aussi brutal et tranchant qu’un couperet : « c’est maintenant ou jamais ! » La table déjà mise, le repas prêt, des lentilles encore fumantes dans la marmite, le gros pain d’un kilo, devenu un luxe en ces jours, en bonne et première place, personne ne s’en préoccupe ! Le miraculeux « sésame » vient de nous être accordé, c’est pourquoi nous avons droit au plus « insolite » des déménagements que nous avons jamais eu à faire jusqu’à ce jour. Il nous reste à peine deux heures pour faire nos bagages pour toujours, destination inconnue. Nous baignons alors en plein irréel, je vous laisse deviner l’angoisse, deux heures interminables et pourtant si courtes, deux heures sur le sol arzewien, les deux dernières, je ne peux m’y résigner, puis-je seulement y croire ?
Pour chacun de nos déménagements dont j’ai souvenance, nous avons l’habitude d’opérer à pieds, il est vrai que la première fois nous devions seulement traverser la rue Jean Jaurès (du 10 au 23) et la deuxième, la tâche était encore plus simple, puisqu’il fallait simplement changer d’appartement dans le même patio au 23 de la même rue. Mais pour l’occasion il nous faut traverser en hâte, une partie du centre ville bien désertée avec « armes et bagages » à bout de bras, ce qui représente à peu de chose près 300 mètres. La totalité de notre déménagement consiste en deux gros ballots fabriqués avec les toiles de nos matelas éventrés pour la circonstance ainsi que la machine à laver nouvellement achetée à crédit que le commandant de la base consent à nous laisser prendre en raison de notre famille nombreuse. Pour remplir les fameuses toiles à matelas, ma mère présente l’orifice béant du premier ballot en prenant appui contre l’armoire et Fernand (le troisième de la fratrie), sans même attendre ses instructions, vif et leste comme à son habitude, laisse choir à grandes brassées pêle-mêle le linge sagement empilé sur les étagères. Il comprend l’urgence de la situation, son souci de toujours bien faire et son intuition de gosse d’à peine 11 ans fait le reste ! (…)
Arrivés sans encombre à Mers El-kébir, nous attendons toute l’après –midi en plein soleil sur les quais, dans la cohue et les détritus. Nous embarquons enfin aux environs de 20 heures, sur « Le BLAVET », péniche de débarquement de la marine Nationale. (…) A 21 heures, il appareille pour une traversée qui durera 3 jours. (..). Loin de ressentir un sentiment légitime de soulagement, je suis envahi brusquement par une angoisse qui m’étreint la poitrine. J’essaie de retenir mes larmes, tout autour de moi ce n’est que pleurs et reniflements, j’en perds ma pudeur et me laisse aller . . . (...)
A Landerneau, nous devrons jeter le linge complètement moisi.
-Il faut savoir que mon père n’avait même pas imaginé qu’une telle menace, aussi grave qu’imprévisible, pouvait peser sur ses deux aînés , Pépico et moi et qu’elle le forcerait à quitter précipitamment sa terre avec toute sa famille ! D’aucuns diront : oui mais qu’ont –ils fait pour mériter cela ? ? ? Est-ce nécessaire de le préciser ?
- Voilà comment nous avons quitté notre chère terre natale, le matin nous n’en savions encore rien…
- A 14 heures le 09 juillet 62, l’autocar au complet démarrait d’Arzew avec toute la famille…
- Le 12 Juillet 62 nous débarquions à Toulon, épuisés mais heureux de toucher enfin la terre ferme . Ce sera le début d’une douloureuse épopée , nous n’étions pas encore au bout de nos peines . Quelques minutes après notre transfert sur les quais de la gare, ma mère faisait une hémorragie interne des suites du récent accouchement . . .
Jean-Pierre BALLESTER
* Papa avait fait 5 ans de service dans la Marine Nationale ( guerre y compris) comme appelé et connaissait le commandant de la base !
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Voyage désorganisé !!!
Le 17 Juin 1962, ma mère nous annonce notre départ pour la métropole, pour le lendemain, et nous invite à dire au revoir à tous, car nous n’aurions pas le temps de le faire au moment de partir. Je me revois arpentant les rues d’Arzew, pour saluer toutes les personnes connues, amies, amis, copains, copines, voisins, voisines, il m’a bien fallu la journée pour échanger avec qui des adresses, des engagements à nous écrire…quelque fois même sans avoir d’adresse…C’est dire le sentiment d’anxiété, de peine qui nous avait envahis. J’étais sur un nuage sans savoir sa destination, ou plutôt destination inconnue…Et l’inconnu fait peur, je n’étais qu’une adolescente qui avait vécu dans un petit cocon entre ciel et mer et que l’on arrachait de son nid…
Le 18 Juin 1962, quelques valises chargées dans la voiture, un dernier regard à cet appartement qui m’avait vu grandir, regard voleur afin de ne pas oublier jusqu’à la couleur du carrelage, notre expédition était composée de 5 personnes, mes 2 grand mères, ma mère, ma sœur et moi, la voiture passa devant le monument aux morts, et mon cœur était déjà en lambeaux, arrivée au village carton, la route montait et mon père s’arrêta sur ce coin de terre ou l’on pouvait voir la baie d’Arzew et le village, photo inoubliable et à ranger dans les souvenirs éternels.
Dans un grand silence la voiture roula et nous amena à la SENIA, cet aéroport était entouré d’une clôture, une fois entrée , impossible de faire demi tour, et j’en avais envie quand j’ai vu repartir mon père et Francis, une impression de ne plus se revoir m’empara et là les larmes commencèrent à couler et encore plus quand entrant dans le hall de l’aéroport des centaines de personnes sont là allongées sur des lits de toile, priorité aux personnes malades et âgées. La journée s’est passée à trouver de quoi installer mes 2 grands-mères et avec ma sœur nous avions retrouvé d’autres arzewiens partis avant nous, insouciance de nos 16 ans, joie de nous retrouver, amitié non perdue, comme si le temps nous laissait encore du temps…quand cette première nuit arrive, nous avons avec ma sœur couché dehors, sur une pelouse avec copains et copines, autour de nous des chars circulaient, des coups de feux étaient tirés, des explosions nous parvenaient, nuit difficile sous un ciel étoilé chaleur intense.
Le 19 juin 1962 nous sommes toujours à la SENIA, rien à manger, nous ne pensions pas rester si longtemps, juste une brioche achetée au marché noir, quel goût avait-elle…des nouveaux arrivants de notre village et on recommençait à rire et s’amuser, pour ne pas devenir fou, pas de toilettes, les garde mobiles nous ont dirigés vers un second camp, moins de monde, pas de lits que des bancs et ces déplacements dans une cohue, poussées par ces militaires qui ne nous ménageaient pas, deuxième nuit à dormir sur le sol, là cela commencait à devenir plus dur à supporter. La croix-Rouge nous offre de l’eau, voilà donc deux jours sans manger.
Le 20 juin 1962 journée épuisante sous cette chaleur, les cris des enfants, des décès de personnes âgées prés de nous font monter notre angoisse, un avion doit arriver, effectivement il est arrivé le soir, les hôtesses de l’air nous offre une soupe de légumes, je ne crois pas en avoir dégusté d’aussi bonne.. Nous avions cru la fin arrivée…. Et c’était la faim qui nous tenaillait. Nous sommes montées dans cet avion, installées sur les fauteuils et endormies de suite, il était plus de minuit… déjà le 21 juin 1962, notre arrivée à Lyon-Bron, telles des automates nous marchions vers une réception quasi inexistante, mais il fallait faire vite, et là à ce moment-là j’ai senti sur mes épaules..toute la peine du monde m’envelopper, j’avais envie de hurler, et tout doucement mes lèvres prononçaient « Arzew ou es-tu ? pourquoi tout ça ?
Geneviève
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1962……Juin… .un nouvel été débutait dans ce qui était encore, hélas pour si peu de temps, mon pays.
Je venais de terminer ma cinquième année scolaire à Oran et j’étais pressé de revenir parmi les miens à Arzew, inquiet de la tournure des évènements.
Rapidement j’allais devoir jouer ce rôle de Chef de Famille qui m’était échu au décès de mon père en 1957.
Cette fois la messe était dite et l’ « amère » et ingrate Patrie abandonnait les Départements Français d’Algérie nous obligeant à quitter à jamais nos foyers et nos chères villes.
Dans la panique de la débâcle, chaque famille, instinct de survie oblige s’occupait avant tout des siens.
C’est ainsi, qu’après m’être assuré que ma mère pourrait s’embarquer à Oran sur un navire de la Marine Nationale, j’acceptais l’offre généreuse du Capitaine de Corvette Claude LAFONTAINE pour un embarquement depuis la base du C.I.O.A. à destination de Toulon.
Un dernier baiser poignant à ma mère, une valise saisie à la hâte et me voilà parmi d’autres Arzewiens sur le « Foudre » navire de la Marine Nationale.
Lorsqu’il franchit la passe du port d’Arzew les visages étaient graves, les joues baignées de larmes……..c’était la dernière fois que je voyais mon village chéri le 11 Juillet 1962.
D’Arzew, le « Foudre » s’est dirigé vers Alger pour y embarquer du matériel militaire……….nouvelle étape douloureuse ajoutée à notre chagrin ;
A cette époque de l’année, j’étais vêtu léger : short, tee-shirt, et aux pieds des « tchanclas ».
Mais en mer il fait toujours plus frais et, lorsque j’ai voulu enfiler un jean et un tricot, quelle ne fut ma surprise en ouvrant la valise de constater qu’elle était bourrée de vêtements oui mais pas les miens, ceux de ma mère !!
C’était le destin …….imaginez mon désarroi !! Bientôt j’en vivrai d’autres bien plus sévères.
Enfin au terme du voyage, Toulon où à peine débarqués nous fûmes dirigés vers un centre d’accueil local, et, comme j’avais une destination finale : Cassis où une petite cousine demeurait après avoir épousé un militaire du contingent rencontré à Perrégaux, c’est rapidement que j’ai rejoint la gare de Toulon pour entreprendre le voyage jusqu’à Cassis, complètement déboussolé .
L’accueil au sein de la famille est toujours chaleureux, aussi rien de plus ne vint s’ajouter à la détresse de l’exil et du dépatriement.
Ma mère m’ayant rejoint, j’ai tenté en vain de me fixer dans la région passablement troublée par les arrivées massives de mes compatriotes.
De petits boulots en petits boulots pour lesquels je n’étais pas fait, j’ai finalement accepté la proposition de la Préfecture des Bouches-du-Rhône pour un transfert vers toute région au- dessus de la Loire.
Ce fut l’Alsace avec son climat rigoureux et sa population aux critères de vie aux antipodes de ceux dont j’avais hérité de mes ancêtres pionniers, d’origine ibérique.
Que ce soit en Provence où en Alsace j’ai rencontré des Métropolitains formidables, mais je ne puis le cacher également pas mal de gens détestables.
Fort de ma jeunesse, je ne me suis pas lamenté mais j’ai survécu car il fallait me battre pour assurer mon avenir et celui de ma mère, loin des miens.
Mon service militaire accompli je suis entré de plain-pied dans le monde actif et j’ai fondé à mon tour une famille après avoir épousé une Oranaise.
Finalement je pense avoir plutôt bien réussi professionnellement grâce à la qualité de l’enseignement et à l’éducation de mes Maîtres du Cours Complémentaire d’Arzew et, bien sûr, de mes chers parents que je ne saurais oublier.
Après douze années passées en Alsace j’ai enfin eu l’opportunité de bénéficier d’une mutation dans les services municipaux de Cassis, et je suis revenu en Provence, beaucoup plus prés des autres membres de ma famille.
Cela m’a permis également de retrouver nombre d’amis d’enfance mais aussi des connaissances au gré des réunions d’Arzewiens.
Aujourd’hui, marié, père de trois fils, grand-père de deux petits-enfants, tandis que maman s’en est allé rejoindre papa au paradis des Pieds-Noirs, je suis à la retraite depuis 2003 après plus de trente-sept années de bons et loyaux services dans diverses municipalités.
Dieu que j’aurais été heureux de faire cette carrière au service des Arzewiens, en mairie d’Arzew.
Maintenant, lorsque des Métropolitains me demandent d’où je viens, parodiant les paroles de Jean Pax MEFRET je réponds invariablement :
« JE VIENS D’UN PAYS QUI N’EXISTE PLUS, JE VIENS D’UN PARADIS PERDU »
Antoine
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Passage d'un monde à l'autre
4 octobre 1962. "Bonjour Tristesse". Tristesse qui est pour toujours au fond de moi. Nous vivions les derniers jours de la province française d'Algérie à ST LUCIEN où mon père était chef de gare . On nous demande de nous replier sur Arzew . Ce qui nous effectuons dans le plus grand désarroi . Arrivés à Arzew où mon oncle Ramonet avait un appartement, Panique! la ville était presque vide . Quelques arzewiens trainaient leur peine et tous ne pensaient qu'au départ, vers une terre inconnue pour beaucoup . 1er Juillet simulacre d'élections puisqu'une grande partie de la population n'était plus là. Puis j'ai vivoté jusqu'en Octobre. L'argent ne servait à rien puisque que l'on ne trouvait pas grand chose, plus d'armée, plus de police, un monde surréaliste. Puis ce fut mon départ de la Sénia vers Marignane, Marseille où une tante m'accuellit. Mes parents et mes soeurs restant à Arzew. Je me suis inscrit à la Fac de Sciences et une nouvelle vie commençait pour moi.
Jean Paul
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L'adieu de la famille François SARAGOZA à l'Algérie
François Saragoza est né à Arzew en 1911, et sa famille y a vécu de 1947 à 1956.
Ce 23 juin 1962, la douceur du climat était au rendez-vous, l'année scolaire finie sous le crépitement des balles nous avait délivrés des trajets dangereux vers le lycée technique. L'arrêt d'un bus avait été le lieu mortel d'un attentat vers Delmonte.
En face du 55 bvd. Vauchez à St.Eugène où nous habitions, une entreprise de vente de vin cherchait à remplacer sa secrétaire qui quittait l'Algérie. Je m'étais présentée quelques jours avant sans penser que notre tour viendrait très vite. Le 24 juin j'étais invitée aux fiançailles de ma voisine et amie Eliane avec Jean-Pierre, le frère de mon amie Colette. Le repas était prévu à leur cabanon en bord de plage, une occasion de se baigner et de participer à une grande réunion familiale. J'avais 18 ans ce même jour de la Saint Jean, et j'étais d'une insouciance extrême après avoir écouté l'allocution du Gal De Gaulle …..« Je vous ai compris »…. persuadée que rien ne pouvait nous arriver. Mon frère Alain était à l'armée et finissait ses 27 mois en Kabylie.… Pour moi aucun doute, tout le monde avait fait ce qu'il fallait pour assurer notre avenir en Algérie.
La journée à la plage se passe merveilleusement bien, Eliane et Jean-Pierre roucoulent, ils sont fiancés, nous ramassons nos affaires et rentrons à Oran. Je grimpe au 1 er dans la cour où nous habitons et là, changement de programme. Fini les réjouissances, mes parents s'activent et réunissent nos affaires les plus personnelles dans toutes sorte de contenants : valises, cartons, toiles à matelas ficelées….dans notre 2 pièces ce n'est pas très difficile de tout assembler, mais je participe sans comprendre. Alors quoi, qu'arrive t'il ? Dépêche toi ON PART DEMAIN !! Quoi ? demain, mais comment ? Le patron de l'entreprise de sabliers du port d'Oran où travaille mon père met généreusement à la disposition de son personnel un bateau (sablier) pour effectuer le transfert des familles…BING, un coup de massue sur la tête ! Je n'arrive pas à réaliser ce qui se passe mais je participe au rangement , surtout de mes affaires, chacun étant responsable de son domaine, avec un avantage, mon père (mécanicien sur ce bateau) dispose d'une petite et modeste cabine, nous sommes donc des privilégiés. Ce que nous ne pouvons emporter restera dans l'appartement, et mon père, qui va encore travailler pendant que nous serons rentrés, ma mère, mon frère Marc et moi, et bien il viendra le récupérer, de plus mon frère ainé Alain est obligé de rester encore un peu à Oran.
La nuit est brève, au petit matin on commence le transfert de nos bagages, je ne me souviens plus comment on arrive sur le port, et nous sommes installés sur le « Tessala » avec les familles des collègues de mon père. C'est plutôt rassurant et personne n'a l'air d'être bouleversé, nous sommes tous seulement consternés. Nous savons que nous devons en passer par là et nous n'avons pas eu le temps de nous poser des questions. Nous partons tous ensemble comme des automates, en effectuant les gestes nécessaires. Mon frère Alain est venu nous accompagner mais lui reste sur le quai à Oran. Les heures passent et le « Tessala » prend la mer, doucement il recule et la distance s'instale entre Notre Algérie et nous, tandis que la silhouette d'Alain s'éloigne. Mais l'angoisse nous étreint lorsque soudain nous voyons des flammes derrière lui, le port est en feu, les réserves de carburant brulent, que va-t-il devenir ? arrivera t'il à rentrer à St.Eugène, seul, sans problème ? Je crois qu'à cet instant, sur le bateau, tout le monde a bien compris : ce ne sera pas un voyage d'agrément même si nous devons faire un crochet et une halte au Maroc Espagnol. Mélilla saurait elle nous accorder un répit ? La famille PAEZ nous avait confié « Peckie » leur petite chienne caniche/bichon noire car eux venaient en avion.
Notre installation dans la minuscule cabine a été rapide, nous avons préféré nous réunir sur le pont. Le bateau suivait sa route doucement vers Mélilla, nous avons fait la connaissance des jeunes de notre âge et échangé des propos pour nous rassurer car nous nous connaissions pas. Une nuit a passée et, le lendemain nous étions au port de Mélilla, jolie petite ville du Maroc Espagnole où le « Tessala » devait décharger du sable ou en charger.
Quelle ne fut notre surprise en voyant que nous étions attendus, la Municipalité ayant chargé un chaleureux comité d'accueil de recevoir les « dépatriés » pour leur faire visiter la ville, jardins et piscine, nous n'étions pas le 1er bateau à y faire escale. La plus heureuse a été « peckie » qui a sauté dans l'eau du port d'où j'ai eu du mal à la récupérer. Puis les plus jeunes avons suivi les aimables jeunes filles qui nous attendaient et avons visité tout ce qui pouvait nous faire passer un agréable moment sans penser à tout le reste. Nous avons échangé nos adresses (la notre étant provisoire chez ma tante à Valréas) en espagnol comme nous avons pu, fait quelques photos avec nos appareils de l'époque !!! Nous avons rejoint le « Tessala » pour une nouvelle nuit à bord, et un départ au petit matin. La dernière page heureuse et insouciante était définitivement tournée, où allions nous arriver ? Nous ne connaissions pas du tout la France….Heureusement ma tante Marie, sœur de ma mère, qui y habitait depuis un mois ou deux, nous rassurait quelque peu. Nous vivrions chez elle en attendant de trouver un appartement dans des immeubles en construction pour l’arrivée des Pieds Noirs à Valréas .
Enfin après le 3eme jour de mer nous arrivions à Marseille, épuisés, pas très propres, chargés de bagages. Mon père nous a aidés à nous installer avec tous les « dépatriés » (des centaines). Après avoir rempli toutes les formalités d'accueil , un appartement nous fut attribué, pour la nuit, dans un grand immeuble, mais sans nous donner la clef (au cas où nous aurions voulu squatter !!)
Lorsque ma mère (très peureuse depuis tous ces événements) s'est rendu compte que l'appartement restait ouvert la nuit, nous a laissé mon jeune frère Marc, « peckie », et moi (plus courageux) et s'en est allé dormir avec mon père chez une cousine à Marseille.
Le lendemain, sous une immense toile de tente, nous avons déjeuné et mes parents sont revenus. Il était temps de dire au revoir à mon père qui reprenait la mer avec le « Tessala ». Quand à nous trois on nous avait attribué des billets de car pour rejoindre notre destination finale, et là, une petite erreur nous aurait bien arrangés, sur les billets i l était indiqué Valras et non Valréas. Quel dommage, si nous avions su la différence, à l'époque…..Mais bon nous c'était le Vaucluse qui nous attendait et pas l'Hérault, alors rectification faite, les bons billets entre nos mains, nous nous sommes dirigés d'abord vers la ville d'Orange où j'ai été stupéfaite de voir des mamies vêtues de noir sur des bicyclettes au cœur de la ville, prés des arrêts d'autobus, étrange pays, je n'avais pas tout vu.
Enfin nous arrivons chez ma tante Marie, harassés, mais nous pouvions nous poser quelques temps. L'accueil a été chaleureux, et, malgré la promiscuité, car nous étions 15 dans un F4 (avec « peckie ») le moral est revenu lorsque nous avons appris que mon frère resté à Oran allait bien et que, surtout, le 5 juillet, une voisine lui avait recommandé de ne pas sortir. Bien lui en a pris car il ne serait peut-être plus là aujourd'hui, St.Eugène et Delmonte furent parcourus par les indépendantistes arrivés à leur fin,et qui massacraient tout ce qui bougeait (comme dans les autres quartiers d'Oran d'ailleurs).
Mon père a continué les voyages Oran/Port la Nouvelle quelques temps et a trouvé un emploi de mécanicien à Valréas. Monsieur PAEZ est venu de Monaco chercher « peckie » au bout de 3 semaines. Pour ma part, profitant d'une invitation de nos cousins de Monforte del Cid prés d'Alicante j'ai demandé à ma mère de m'autoriser à y aller et j'y suis restée 3 mois, abandonnant mes études de secrétariat.
Très choyée par mes cousins, mais aussi par tout le village qui voyait une « francesa » de prés, je me suis très vite intégrée. Ciselant les raisins de table, attachant les pieds de tomates, chantant en espagnol avec toutes les ouvrières dont je faisais partie pour gagner un peu d'argent et participer aux frais de mon séjour chez mes cousins dits "Lecheres" extremement modestes. Fin décembre 1962 je retournais à Valréas pesant 9 kgs de plus (gavée de raisins, de fruits et d'huile d'olive sur des tartines avec une barre de chocolat, c'était le gouter que me préparait ma tia Dolores).
J’avais participé aux fêtes de « la Purissima » début décembre, et emmagasiné les règles du castillan en complément des cours au lycée Ali Checkal d'Oran . Le tout réuni a été la plus belle et la plus intéressante période de ma vie. Au retour je me suis retrouvée, hélas, dans le vent glacé, appelé mistral, du couloir rhodanien. Moi qui avait horreur de la géographie, j'ai tout compris. Après une année à me perfectionner en secrétariat (stage réservé aux Pieds-Noirs à la chambre de commerce d'Avignon), j'ai obtenu un job à Valréas dans les bureaux des cartonnages.
Avec l'optimisme de mes 20 ans j'ai repris la route pour Grasse où j'ai pu travailler dans une fabrique d'essences de parfums en qualité de correspondancière en langue espagnole. La boucle était bouclée? Revenu dans le Vaucluse vers 1966, la vie a suivi son cours : mariage avec un français d'origine né à Lyon, deux enfants, Patrick en 1969, et Karine en 1973 etc...Sans trop me poser la question : qu'aurais-je fait si nous étions restés en Algérie ?
Voila le parcours que d'autres ont dû connaitre, plus ou moins difficile, dans l’indifférence générale de la France de l’époque. Même si mon histoire est assez banale, je suis heureuse de pouvoir la raconter aujourd'hui, profitant de l'occasion qui m'est donnée. Merci aux sites Pieds-Noirs qui nous entendent, notre cœur est moins serré car il peut s'épancher.
Lucienne Saragoza
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Le départ d’Arzew de la famille PIERSON
Je viens un peu compléter le site RACONTEZ où sont rapportées les circonstances du rapatriement de Antoine Gutierrez. Nous nous sommes trouvés sur le même bateau, Le Foudre, le 11 juillet 1962.Mes parents ne voulant pas partir, j'ai pris la décision de rester avec mon père au cas où le FLN l'aurait exécuté. Personnellement avec mon épouse j'ai réussi à me soustraire aux recherches du FLN qui voulait mettre à exécution sa condamnation à mort prononcée envers toute la famille. Mais peu avant le 11 juillet j'avais remarqué qu'un "Chouf" s'était posté à proximité de mon domicile et j'ai alors pris la décision d'aller me réfugier à la Base. Y étant presque arrivé j'ai été menacé par 3 arabes armés. Ils m'ont contraint sous la menace de leur arme de les suivre. Ils m'ont embarqué dans leur véhicule qui était garé à proximité. J'ai alors cru ma dernière heure arrivée. Ils m'ont conduit dans une vielle bâtisse au Village Carton où j'ai été amené dans une pièce. Est entré alors le nommé " Hamida" bien connu des Arzewiens. Mes ravisseurs se sont concertés entre eux et au bout de quelques minutes ils m'ont demandé de les suivre. Nous sommes sortis et nous apprêtant à monter dans leur voiture, un détachement militaire de l'A.L.N. est arrivé et a donné l'ordre à Hamida et à sa bande de me livrer. J'ai donc été conduit par ces gens de l'A.L.N. au stade d'Arzew où régnait une grande effervescence en raison du grand nombre de volontaires venus pour s'engager. Apparemment l'ALN n'avait pas le temps de s'occuper de " mon cas" et après quelques palabres j'ai été remis en liberté. Rentrés à la maison, nous avons su que le Commandant de la Base avait fait ramasser "toute la Famille PIERSON" : la Grand-mère Ginisty, ma mère, mon épouse, mon frère et son épouse avec leurs deux enfants en très bas âge (14 et 1 mois).Nous sommes restés à la base plusieurs jours avec l'ordre de ne plus en sortir car nous étions attendus à la sortie de la Base. Dans la nuit mon père et moi avons entendu notre chien Black qui Hurlait à la mort. Nous avons "fait le mur" nuitamment et comme notre maison ne se trouvait pas trop loin de la base nous avons ramené notre chien sans avoir attiré l'attention ni des marins ni des arabes. Notre traversée s'est déroulée sans incident jusqu'à Alger où on nous a demandé de ne pas nous montrer sur le pont pour ne pas nous faire "flinguer".Nous entendions le sifflement des balles au-dessus du Foudre. C'est dans cet équipage que nous sommes arrivés à Toulon.
Guy Pierson